Mme Sarah Legrain interroge Mme la ministre de la culture sur la suspension de la publication du livre de Guillaume Meurice et Nathalie Gendrot par le groupe Editis.
Le Fin Mot de l’histoire de France en 200 expressions devait sortir le 29 septembre 2022 aux éditions Le Robert, propriété du groupe Editis, dont la maison mère Vivendi a pour premier actionnaire Vincent Bolloré.
L’argument avancé pour justifier cette suspension ? Certains passages du livre seraient susceptibles de donner lieu à contentieux. En cause notamment ces mots « Faire long feu : Expression remplacée aujourd’hui par : révéler sur Canal+ les malversations de Vincent Bolloré ». S’il est compréhensible qu’Editis ne veuille pas prendre de risques de poursuites judiciaires, il semble pour le moins surprenant que cette crainte concerne son principal actionnaire en personne ! La définition de Guillaume Meurice mise en cause serait-elle ironiquement prémonitoire ? L’expression « Faire long feu » s’appliquerait elle à la définition « chercher à publier un livre qui se moque de Bolloré chez un éditeur possédé par Bolloré » ?
Mais chez Bolloré, censure, caviardage, intimidations ne sont pas l’apanage de l’édition. L’audiovisuel n’est pas en reste ! Ainsi la définition de « faire long feu » semble aussi s’appliquer aux humoristes et journalistes de la télévision qui ont l’audace de se moquer du patron : on se souvient du sort malheureux du chroniqueur Sébastien Thoen licencié de Canal + pour avoir osé parodier L’Heure des Pros et ensuite de l’éviction du journaliste Stéphane Guy qui lui avait apporté son soutien occasionnant pour la chaîne une condamnation pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse ». Côté séries, c’est le scénario initial de Paris Police 1900, évoquant la séparation de l’Eglise et de l’État, qui a « fait long feu » et a subi une réécriture. Côté film, Grâce à Dieu de François Ozon qui parle de pédocriminalité dans l’Église s’était vu retirer ses financements. Une journaliste avait alors témoigné dans les colonnes du Canard enchaîné : « Avec Bolloré, tout ce qui tourne autour de la religion ou de l’homosexualité, c’est compliqué ». Ce n’est pas M. Bolloré qui la contredirait, puisqu’il a lui-même récemment affirmé : « Je me sers de mes médias pour mener mon combat civilisationnel ».
Ainsi, s’il est un endroit où « On ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien faire », pour reprendre le mantra Pascal Praud sur la chaîne CNews, c’est bien dans l’empire Bolloré. Mme la ministre, en réagissant à la suspension du livre de Guillaume Meurice par Editis, a dit sur le plateau de Quotidien le jeudi 15 septembre 2022 que c’était « un groupe privé qui a le droit d’éditer qui il veut ». C’est occulter la situation monopolistique du groupe Bolloré, qui entre en tension avec l’idée même de pluralisme, de diversité et de créativité.
À l’heure où le service public de la culture se trouve attaqué de toute part, doit-on s’attendre à ce que quelques oligarques façonnent les imaginaires sur la base de leurs idéologies politiques ? Elle lui demande ce qu’elle compte faire afin de réguler les effets pernicieux de ces phénomènes de concentration qui favorisent la censure et entravent la liberté d’expression.